Chapitre 2 – Stupidité et biologie

Bien qu’elle ne soit pas une maladie, la stupidité se propage telle une virus – ou plus simplement, elle se multiplie comme toute créature vivante. Mais dans un environnement biologique simple, le “problème de la stupidité” n’existe pas. Le processus est fondé sur la production d’un nombre très grand de mutants « débiles ». Seuls quelques uns (les “plus adaptés”) survivent, et c’est tout.

De ce point de vue, ce que nous considérons comme une catastrophe n’est qu’une variation dans le cours naturel des évènements. Les éventuels incendies dévastateurs sont considérés par les botanistes comme nécessaires, voire souhaitables, pour l’évolution d’une forêt. Les millions d’êtres vivants qui meurent dans le processus peuvent être en désaccord, mais leur opinion est sans importance.

Cette perspective nous offre des solutions simples et très efficaces. S’il y a trop de monde, tout ce dont nous avons besoin est une autre pandémie (ou n’importe quel appareil d’homicide de masse n’interférant pas trop avec l’environnement) qui puisse tuer 90 pour cent de l’espèce humaine.

Les dix pourcent restants, une fois le choc passé, trouveraient probablement leur nouvel environnement plutôt agréable. Ils seraient aussi probablement génétiquement similaires et partageraient des traits spécifiques d’apparence ou d’attitude. S’ils avaient tous les cheveux verts, les yeux roses et aimaient le temps pluvieux, ils en viendraient rapidement à considérer que les personnes (disparues) avec d’autres couleurs de cheveux, d’yeux, aussi bien que les personnes appréciant le temps ensoleillé, comme bizarres ou inférieurs. Leurs livres d’Histoire résistants à l’humidité traiteraient la plupart d’entre nous comme nous le faisons (assez injustement) avec les Néandertals.

La destruction ou la stérilisation de notre planète par des armes humaines (nucléaires ou chimiques) ou par la collision avec un rocher errant, serait un détail insignifiant dans la perspective de l’Univers. Et si cela arrivait avant le développement du voyage dans l’espace et de sa colonisation, la disparition de notre espèce (ainsi que du reste de la biosphère terrestre) ne causerai pas beaucoup de remous, même dans notre galaxie.

Mais dans l’environnement biologique particulier mis en place par certaines espèces (telle que la nôtre), le système est fondé sur l’hypotèse que l’environnement peut être, et devrait être contrôlé; et que chaque individu de notre espèce (et des autres espèces que nous “protégeons”) devrait pouvoir vivre plus longtemps, plus agréablement, que dans un environnement non contrôlé. Cela nécessite une certaine organisation de l’intelligence. Ainsi, la stupidité, à cette étape et dans ce contexte d’évolution, est extrêmement dangereuse.

Certaines personnes pensent que notre décadence est irréparable, que par un affreux hasard de l’évolution la stupidité l’a emporté. De nombreux faits semblent, de façon assez alarmante, corroborer cette vision des choses. Ce livre est une tentative pour savoir s’il est possible d’éviter (et comment éviter) un désastre extrême.


Il serait long et compliqué de se lancer dans un débat scientifique (souvent vain, mais parfois enrichissant) sur l’intelligence de la biologie ou la biologie de l’intelligence. Il est possible d’argumenter, suivant le point de vue, que l’évolution est intelligente – ou stupide. Et les même contradictions peuvent être trouvées dans l’étude de diverses cultures humaines.

À ce sujet, on pourrait citer une autre observation intéressante par James Welles. L’archéologie est principalement dédiée à la recherche de l’intelligence, c’est à dire, la recherche de ce qui a rendu notre espèce, l’homo sapiens, différente des autres humanoïdes qui (suivant nos critères) semblent avoir moins de capacité de réflexion. Ou bien, à une époque encore récente, la recherche de faits prouvant le “progrès” – l’amélioration technique, de la science ou de l’organisation sociale. L’Histoire au contraire, est une suite inépuisable d’erreurs et d’échecs – une célébration sans fin du pouvoir de la stupidité.

James Welles observe en outre l’ambivalence de l’héritage culturel. La tradition est une accumulation d’expériences et de savoir-faire utile. Mais c’est aussi un ensemble sclérotique rigide de préjugés, de superstitions, d’habitudes, de dogmatismes, de conformités, qui gênent la connaissance et sont souvent à l’origine de la stupidité.

Nous sommes souvent placés devant un choix, non seulement dans notre évolution scientifique et philosophique, mais aussi dans notre vie quotidienne. Quel savoir issu de l’expérience devons nous garder et que devrions nous apprendre de nouveaux stimuli – ou de choses que l’on connait déjà mais que nous n’avons pas encore tout à fait comprises ? Nous devons faire les deux, lorsque nous en avons l’opportunité. Nous pouvons apprendre beaucoup en combinant expérience et curiosité.

Des études récentes de paléoanthropologie révèlent qu’à l’origine de notre espèce, dans les cultures humaines les plus “primitives”, on pouvait trouver des structures sociales cohérentes et solidaires 1. Certaines valeurs, profondément ancrées dans la nature humaine, sont capables de réduire de manière assez efficace la stupidité et de contrer ses effets. Le problème c’est d’arriver à les identifier et à les faire fonctionner dans les situations turbulentes et complexes d’aujourd’hui.

1

Voir The Evolution of Evolution (L’évolution de l’évolution) (http://gandalf.it/stupid/darwin.htm)

Il serait bien trop compliqué, très long, et quelque peu ennuyeux, de se lancer dans des discussions sur la nature de l’intelligence. Les débats théoriques se compliquent sans fin et sont souvent peu concluants. Ce dont nous pouvons toutefois être sûr, c’est qu’il n’y a aucun sens à définir l’intelligence comme seulement linéaire ou logique – et il est tout aussi faux de rejeter comme stupide ce qui ne semble pas totalement expliqué par un raisonnement rationnel.

La raison et les émotions, la logique et l’intuition ne peuvent être séparés. Les grandes avancées (y compris en science) ont été accomplies par des intuitions qui n’ont trouvé que plus tard une explication « rationnelle ». L’expérience quotidienne nous prouve aussi que l’intuition peut être plus rapide, et plus efficace, qu’un long raisonnement.

Nous pouvons être stupides si nous nous laissons guider uniquement par nos émotions, mais nous ne sommes pas très malins si nous pensons que tous nos problèmes peuvent être résolus en suivant un raisonnement d’apparence logique. C’est une des raisons pour laquelle, à la fin du livre, j’ajoute quelques observations « simples » sur des manières de simplifier la complexité.

Voir aussi

Le document d’origine (en anglais) est disponible sur sur le site de l’auteur